Le rire est libérateur. La joie de vivre est le meilleur antidote contre la morosité ambiante et les ulcères d'estomac qu'elle provoque. Oui, mais est-il vraiment décent de se moquer de tout et de transformer une histoire tragique en événement hilarant ?
C’est la question que l’on peut légitimement se poser en visionnant cette procession macabre se déroulant sur la plage de Syrte où des individus encagoulés conduisent, à leur triste destin de moutons égorgés, un groupe de captifs revêtus d’une tunique orange marchant en file indienne.

Être comique au dehors, et tragique au dedans, pas de souffrance plus humiliante, pas de colère plus profonde. Victor Hugo

Mais, avant de démystifier cette mascarade, il peut être utile de considérer la motivation des metteurs en scène. Si c’est une évidence que leur objectif est de terroriser les foules, il reste à découvrir comment ils sont parvenus à considérer cette manière d'agir comme le seul moyen de s’affirmer. 
Il y a quelque chose de profondément ridicule et absurde dans cette manière de vouloir se faire respecter en faisant peur aux autres. Devoir couper la tête de ceux qui ne partagent pas nos idées, donc leur enlever la vie, pour soi-même s’affirmer, donc exister, est une méthode qui comporte un vice de forme ingérable sur le long terme. La réussite d'un tel procédé ne repose pas seulement sur l'effet produit sur les spectateurs potentiels qui, tôt ou tard, se lasseront et percevront l'absurdité de la tâche, mais également sur la diabolisation permanente d'ennemis, même quand toute opposition a été réduite au silence. Ce qui signifie que les critères choisis pour justifier ces mises en scène sordides deviennent de plus en plus aléatoires et que leur injustice intrinsèque finit par sauter aux yeux du public le plus abruti. 
À partir de ce moment, il y a de fortes chances que, loin d’être impressionnés par ces spectacles sordides, les observateurs finissent par en rire. 

Cependant, avant d’en arriver là, il est essentiel de faire ressortir le côté pathétique de ces sinistres individus. Inopinément, les médias et surtout les gouvernements devant faire face à ces menaces terroristes ne nous facilitent pas la tâche, en contribuant à répandre la peur auprès du public et par conséquent à convaincre encore plus les « terroristes » de la justesse de leur combat. 
Aujourd’hui, des individus minables et insignifiants, des glandeurs sans aucune envergure, avec un petit pois à la place du cerveau, peuvent connaître des heures de gloire en filmant, avec une caméra fixée sur ce qui leur tient de tête, les scènes les plus répugnantes qui soient, et passer ainsi à la postérité. Si l’impact que de tels abrutis ont sur l'opinion publique leur donne pour un court instant l’illusion d’exister, il ne suffit bien évidemment pas à leur procurer sur le long terme la satisfaction et surtout l’estime de soi nécessaire pour vivre décemment. Même s’ils tentent de justifier leurs actions d’un point de vue idéologique, personne ne peut nier la bassesse et la lâcheté de la méthode employée. 
Regrettablement, la publicité accordée à ce genre d’actions fait des émules, dont l’unique objectif est de provoquer encore plus de ravages, ce qui crée une espèce d'escalade mortifère qu’on ne peut faire cesser qu’en employant la grosse artillerie. 
Tout cela est devenu une affaire très sérieuse, puisque chaque camp est parvenu à se convaincre de la légitimité de son combat et de la nécessité d'éliminer les ennemis de l’autre camp, alors qu’au départ, on avait tout au plus affaire à quelques bandes de désœuvrés en soif de reconnaissance. 
Si l’on observe bien le mécanisme, on constate sans peine que lorsque à l’incapacité de rire de soi s’ajoute l’impuissance à tourner en dérision le comportement ridicule de ces énergumènes, on obtient alors un cocktail explosif qui a tout lieu de se consommer sur un champ de bataille. 

Tous les individus qui veulent en découdre pour s’affirmer manifestent à l’unisson une absence d'humour caractéristique malgré l’absurdité complète de leur comportement. 
En filmant leurs exactions, ils veulent impressionner les spectateurs et les faire obéir au doigt et à l’œil, mais même dans ces instants fatidiques et dramatiques où ils donnent libre cours à toute leur sauvagerie. Force est de constater qu'ils ne parviennent pas à dissimuler leur parfaite insanité. 

Deux camions syriens sont sommés de s’arrêter sur le bas-côté de la route par des hommes armés. Leur chef se met à interroger les chauffeurs pour savoir s’ils sont de bons musulmans. Il leur demande combien de fois ils prient par jour. Il s’ensuit un court conciliabule ridicule par lequel va se sceller le sort de ces deux civils dont l’unique tort est de s’être trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Avant qu’ils ne prennent la route, rien ne prédestinait à être achevés d’une rafale de kalachnikov pour ne pas avoir répondu correctement à une devinette sans queue ni tête, formulée par un imbécile patenté qui se prend pour un grand manitou. Toute la scène a bien évidemment été filmée avec le plus grand sérieux par un des acolytes pour être ensuite extraite de la caméra et diffusée sur les réseaux sociaux, sans nul doute dans le but éducatif de montrer à quel point il est important d'être un bon pratiquant. Bien entendu, aucune condition n’était réunie pour appliquer un jugement aussi expéditif et cruel. Encore une fois, la seule volonté des tueurs est de montrer qu'ils ont le pouvoir de donner la mort quand bon leur semble. 
Faut-il rire ou pleurer de tels pauvres types ? Les deux réactions ne doivent pas s'exclure, mais il est vital que la vie retrouve ses droits et ne plus être apeuré par des personnages aussi grotesques semble le chemin le plus sûr de ne pas céder au chantage. 
Il est important de souligner que ce n'est pas manquer de respect aux victimes, dont il est par ailleurs nécessaire d’honorer la mémoire, contrairement à la tendance médiatique qui indirectement finit par glorifier des monstres, afin que l'injustice qui les frappe soit mieux perçue par le public, que de tourner en bourrique leurs bourreaux.
Imaginons que toutes les personnes confrontées à ces énergumènes répondent par le rire et la dérision à leurs provocations et vaines prétentions. Il ne fait aucun doute alors qu'ils ne parviendront plus à disséminer leur venin. La peur touche l'esprit et ébranle le moral, elle induit un sentiment de paralysie et d'impuissance, elle grossit un ennemi en lui attribuant des pouvoirs supérieurs. 

Un documentaire sur la vie d'un djihadiste montre le quotidien d’un tel crétin. L'accent est mis sur l'influence nocive qu'il a auprès de ses propres enfants. Il en a eu de quatre femmes différentes (ses épouses officielles), que l'on ne voit jamais à l'écran. Il passe ses journées à déminer des endroits remplis de charges explosives. C’est aussi un expert dans l’art de fabriquer de tels engins. Pendant ce temps, ses enfants jouent à la guerre sur les terrains vagues devant sa maison. À l'aide d'un fusil à lunettes, il tire ensuite sur ses ennemis supposés comme s'ils étaient des lapins.  Puis, on le revoit sur un lit miteux, la jambe en compote, il vient de se faire arracher un pied lors d'un déminage. En convalescence, il prétend qu'il a été distrait par la présence des personnes qui l'accompagnaient ce jour-là. Elles sont auprès de lui et sourient bêtement. Ces crétins sont pathétiques et l'on ne peut pas s'empêcher d'établir une relation directe entre leur absence de jugeote et leur dangerosité. Ce sont de grands enfants qui ont perdu tout sens de l'humour et de la retenue auxquels on a mis des mitraillettes entre les mains pour se faire respecter. Le résultat ne peut être que catastrophique. Il remercie néanmoins Allah qui lui a épargné la jambe droite qui lui permet toujours de conduire. C'est un vœu qu'il avait fait avant de perdre son pied. Il a été exaucé. Son fils est enrôlé dans les louveteaux du nouveau califat, bien qu'il soit encore mineur. Il doit tout juste avoir douze ans. Son père, très ému, est fier de son rejeton, car il pourra reprendre le flambeau et être sans doute plus efficace que lui.
Tant de bêtise étalée sans la moindre gêne en public, par des individus incapables de donner un sens à leur vie, autrement que par le désir de l’ôter aux autres, et tout ceci au nom d'un dieu dont ils prétendent connaître la volonté, mais qui n'est en réalité que la projection de leur médiocrité, est certes choquant, mais n'oublions pas que c’est l’absence du sens du ridicule qui est le moteur et la cause de leur mode opératoire.