L'escalade du déni est un phénomène dont les conséquences funestes sont souvent sous-estimées par ceux qui affichent cette attitude. Un exemple extrême illustre à quel point le déni, se rapportant à l'aspect potentiellement immoral et délictueux d'un comportement, est susceptible de se répandre et de déterminer de manière décisive les attitudes des protagonistes concernés.

Leurs impulsions prennent le pas sur une réelle notion du bien et du mal. Dan Kiley, Le Syndrome de Peter Pan

Le premier déni commence par une fable, à laquelle tout le monde a tendance à adhérer, tant elle est séduisante. Un conte de fées dans lequel les personnages entretiennent le mythe d'une enfance insouciante et éternelle. Dans la vie, il existe des individus qui sont restés de grands enfants et qui ont refusé de grandir. Un peu à l'image de Peter Pan, ils fuient le monde des adultes et tous les dangers qu'il représente pour leur image personnelle. Mais, malgré les fantaisies qu'ils caressent, ils ne peuvent pas interrompre leur croissance biologique. Une fois adolescents, ils aimeraient trouver un moyen de rendre compatibles leurs pulsions sexuelles avec leurs chimères. La frustration les assaille immanquablement lorsque les personnes qu'ils rencontrent semblent, contrairement à eux, si bien ancrées dans cette même réalité qui les effraie. Il est impossible de partager leurs émotions avec une femme de leur âge, car cela fait immédiatement ressortir leur infantilisme et leur immaturité. Par rapport aux hommes normaux, ils se savent désavantagés et battent en retraite quand leur côté androgyne n'attire que les moqueries. Dans la société, ils se sentent des victimes, faibles et incomprises.

La nostalgie d'un état désormais révolu ne compense que faiblement ce terrible sentiment d'être seul et abandonné, inapte à la vie en société.

Si tous les adultes ont probablement en eux un enfant intérieur que l'on pourrait assimiler à un âge d'or révolu, qu'il importe de ne pas nier, mais plutôt d'intégrer harmonieusement dans sa personnalité, ceux qui souffrent du syndrome de Peter Pan procèdent d'un autre genre de déni qui est celui de prétendre retrouver ou atteindre ce même état dans leur vie adulte.  Le déni est alors beaucoup plus grave, car il se nourrit d'une illusion qui perdure, qu'en raison de la tendance de ce genre d'individus à se convaincre de la légitimité de leur quête, en façonnant la réalité selon leurs désirs un peu fous. En d'autres termes, ces personnes doivent se donner les moyens d'imposer leur vision déformée du monde, dans lequel ils jouent le rôle flatteur de Peter Pan. Celui qui s'approche le plus du côté positif de la fable. Car Peter Pan est aussi un être ambigu et égocentrique, entièrement fixé sur la satisfaction de ses besoins personnels. Incapable d'aimer et de ressentir de la compassion pour le sort d'une personne autre, il reste fixé dans un monde artificiel, où le côté ludique et superficiel des relations prédomine. Tôt ou tard, Peter Pan sera confronté à la fuite du temps et le réveil s'annonce brutal.

Dans la réalité, on comprend aisément que la fantaisie de rester un enfant et le refus de grandir, quand ils sont affichés par un adulte, mettent ce dernier dans de sérieuses difficultés, à moins qu'il ait les moyens d'organiser son monde autour de ses fantaisies. Lorsque comme Michael Jackson, cet adulte est une vedette richissime, le pouvoir de transformer ses rêves en réalité existe bel et bien.

Ce n'est donc pas une surprise que seul un artiste très populaire au faîte de sa gloire va se lancer avec succès à incarner ce personnage mythique dans la réalité.

Il faut toutefois noter que dans le cas de Michael Jackson sa préoccupation principale semble sensiblement différente du Peter Pan classique, dans la mesure où le point de départ de la quête de l'artiste n'est pas de prolonger ou de retrouver un état passé, mais plutôt d'en créer un de substitutif. Michael Jackson invoque l'enfance qu'il n'a pas eue pour justifier celle qu'il cherche. Cette position sensiblement différente est propice à développer un profond malentendu avec les interlocuteurs de l'artiste, qui de leur côté auront tendance à former un déni sur les vraies intentions de Michael Jackson. Ils partiront, en effet, du principe que Michael Jackson veut retrouver un état d'innocence, propre à l'enfance, dépourvu de toute malice.

Le déni formateur qui est celui de croire que l'on peut éternellement rester un enfant est contagieux au point que Michael Jackson parvient sans grande difficulté à convaincre ses proches de la légitimité de sa démarche.

Neverland est ce grand parc d'attractions privé où Michael Jackson a sa résidence principale.

Michael Jackson n'est pas seulement le doux rêveur innocent tout tourné vers la cristallisation d'un conte de fées qu'il partage généreusement avec son entourage, il est aussi un enfant gâté, obstiné, tyrannique et carrément immoral. Cette face sombre, peu l'entrevoient, car elle ne s'exprime pas en plein jour. C'est la nuit, derrière les portes closes de son vaste manoir, avec ses jeunes admirateurs, dans l'intimité de sa chambre à coucher, que ce côté moins reluisant se manifeste parfois.

Wade Robson et James Safechuck, ainsi que leurs familles respectives, font partie des quelques élus forcés de former un troisième déni : le Michael Jackson qui s'exprime la nuit est forcément identique à celui de la journée. Occasionnellement, la mère et la sœur de Wade Robson dormaient dans la chambre à côté de celle occupée par Michael Jackson et leurs fils. Jamais il ne leur serait venu à l'idée que l'attachement qui liait la vedette musicale à Wade puisse sortir du cadre du conte de fées de Neverland. De leur côté, les deux jeunes garçons âgés d'à peine 7 et 9 ans, quand ils entrèrent dans l'intimité de leur idole, ont formé un autre déni de taille qui est celui de considérer que les attouchements sexuels de Michael Jackson étaient la plus grande preuve d'amour à leur égard. Un amour qui devait rester entre eux. Comme tout pédophile, dans le déni sur la vraie nature de ses actes, Michael Jackson appliquait une loi fondamentale de la manipulation malveillante. Transformer le faux en vrai et exigeait l'adhésion à la loi du secret partagé à travers le serment réciproque. Qui d'un côté entretient l'impunité de l'abuseur et de l'autre l'asservissement physique et moral de la victime. 

Ce quatrième déni est le plus puissant, car il excuse le délit et se trouve être par la même occasion un défi à la réalité et à l'autorité naturelle des parents. Ce jeu de rôle où Peter Pan cède sa place à un pervers sans vergogne n'est possible qu'à partir du moment où Michael Jackson s'arroge dans l'inconscient de Wade et de James l'autorité de leurs parents. Les victimes de Michael Jackson acceptent leur condition à partir du moment où elles considèrent que les lois qui régissent le monde de leur abuseur supplantent celles de leurs parents. L'ascendant psychologique et physique qu'exerce Michael Jackson sur les enfants lui permet d'obtenir la loyauté de ses victimes tout en maintenant l'illusion dans son entourage.

Il semble évident que Michael Jackson se trouve lui-même dans le déni total au sujet de la nature abusive et criminelle de ses actes de pédophilie. Comment en est-il arrivé à former cette conception totalement pervertie des rapports humains ?

Either you’re a winner in this life, or a loser. And none of my kids are gonna be losers.Joseph Jackson

Peut-être que les paroles de Joseph Jackson, le père de Michael, laissent entrevoir le dilemme auquel était confronté son fils, incapable de s'affirmer comme un gagneur autrement que par sa prise de pouvoir perverse sur des enfants.